Nous n’y sommes pas encore, mais l’Europe s’en rapproche. Une Europe des nations, enracinée, conservatrice, parfois rugueuse, toujours méfiante des injonctions de Bruxelles. Ce que les élites appellent populisme, les peuples l’appellent respiration. Et dimanche, à Varsovie, l’un d’eux a choisi Karol Nawrocki. À 42 ans, ce nationaliste assumé, admirateur de Donald Trump, a remporté l’élection présidentielle de justesse face au centriste pro-européen Rafał Trzaskowski.
Ce coup de tonnerre à l’Est vient rappeler que les fondations de l’Union européenne ne sont pas inébranlables. Car derrière cette victoire se profile un vrai basculement. Non seulement Karol Nawrocki dispose d’un droit de veto sur la législation du gouvernement libéral de Donald Tusk, mais il incarne aussi une rupture nette avec le logiciel progressiste : hostilité aux droits LGBTQ+, opposition à l’avortement, rejet des quotas climatiques, et fermeture totale à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan.
La Pologne redevient-elle ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une grande nation catholique, conservatrice, patriote, fière de sa souveraineté, rétive à se dissoudre dans le marécage technocratique de l’Union européenne ? Et peu importent les casseroles du nouveau président, ses amitiés troubles avec des hooligans ou des réseaux interlopes : il incarne, aux yeux de millions de Polonais, la fierté retrouvée.
Le rêve bruxellois d’une Europe unie, progressiste, cosmopolite, se heurte à une nouvelle donne. L’axe de l’Est – de Bratislava à Varsovie – défie les dogmes de l’Ouest. Et demain ? L’Italie est déjà là. L’Allemagne y glisse. La France pourrait suivre.
Oui, un blocage profond de l’Union européenne est à prévoir. Mais peut-être est-ce là la meilleure nouvelle qui soit : l’occasion de rebâtir une Europe recentrée sur l’essentiel, probablement à la carte, réaliste, pragmatique, faite de coopérations volontaires et non de soumissions forcées. Une Europe des peuples, et non des juges et des technocrates. Une Europe de projets, et non d’idéologies.
Rappelons-le avec force : les pères fondateurs de l’Europe unie n’ont pas voulu d’une Europe technocratique qui s’impose aux Etats membres. ils ont voulu la paix et la liberté par le commerce. Rien de plus et c’est déjà beaucoup.
L’heure des peuples a sonné. Et les peuples votent.
Michel Taube